Carnet 1

du 24 août au 20 octobre 1914 - Souvenirs

Ce 1er carnet, un carnet publicitaire « Liqueur de Marque « Menthe-Pastille » de E.Giffard à Angers » avec le calendrier de l’année 1914, s’intitule « Souvenirs ». Il couvre la période du 24 août au 20 octobre 1914.

Exode familial

C’est l’évacuation de son épouse Marguerite et de sa fille Suzanne, alors âgée de 2 ans, elles sont accompagnées par Marie, sa belle-soeur, et ses fils. Les Ardennes sont envahies.

Dans un premier temps, Monsieur PETIT conduit sa famille vers la Normandie : voici les grandes étapes du voyage du 24 au 26 août 1914 : Charleville – Lonny – Bolmont – Liart – Amagne – Reims – Paris – St Vaast d’Equiqueville (au sud-est de Dieppe).

 

"Nuit du lundi 24 au mardi 25 août 1914

Réveillé vers 2 h du matin par Watrin. Les collègues partent pour Rethel à 6 h matin. Marguerite (son épouse), Suzanne (sa fille née en 1912) et moi partis de Charleville à 9 h matin en voiture pour Lonny. Arrivée vers 11 heures. Nous y avons déjeuné. A 2 heures, nous quittons mon père, bien triste. Prévot nous conduit en voiture à Bolmont. Nous y sommes rejoints par Marie et ses 2 petits. Vers 4 heures, arrive enfin un train (on entend le canon vers Sedan). Obligés de monter dans un wagon de marchandises jusque Liart. Là, nous trouvons aussitôt un train jusque Amagne, puis un vers Reims. Entre Amagne et Rethel, Suzanne, incommodée par la chaleur, est malade. Je suis bien ennuyée, et je décide qu’on arrêtera à Rethel chez Folliant, hôtel moderne, pas de place ; à bien d’autres endroits également. Je trouve enfin Mme Millet qui nous hospitalise de grand cœur. Nous y mangeons et couchons."

 

"Le lendemain, mercredi 26, à midi

Je suis envoyé en mission à Reims. J’y conduis Marguerite et Suzanne. Arrivée à 2 ½ h. Je les installe dans un train qui part pour Paris à 11 heures ½. Elles sont arrivées à Paris à minuit, y ont couché et le lendemain à 8 heures pris le train pour St Vaast d’Equiqueville (Seine Inférieure). Je suis obligé d’attendre à Reims jusque 3 h du matin. Je rentre à Rethel vers 4 heures par une pluie battante."

 

Le canon tonne dans les Ardennes

« Jeudi 27

Nous nous installons à l’entrepôt de Rethel où on travaille tant bien que mal. On voit arriver de nombreux émigrés du nord des Ardennes. Successivement arrivent des collègues obligés d’évacuer leurs recettes. On dit que les prussiens sont entrés par Rocroi."

"Vendredi 28 août

Arrivent toujours des émigrés. La panique commence à prendre à Rethel. Dans l’après-midi, violente canonnade vers Launois. A 7 heures on parle d’évacuer. Vers 8 h la population part, mais à Sault, on fait faire demi-tour à beaucoup. Nous couchons dans le grenier de l’entrepôt car on s’attend à partir. Nous prenons la garde à tour de rôle devant la sous-préfecture. On entend la fusillade vers Novion. Je suis de garde de minuit à 1 h ½. Vers 1 heure arrivent des autos qui ont été attaquées vers Launois. A1 h ¼, on nous prévient de nous tenir prêts à partir. Vers 3 heures on nous fait diriger vers la route de Sault. Nous attendons le CBR. A 5 heures, arrivent 5 trains. Le premier est pour les fonctionnaires. Le canon tonne près de nous quand le train démarre. Il fait froid. Arrivée à Reims vers 10 heures. »

Instructions et ordres de service

 

"Samedi 29

Nous apprenons qu’à 2 heures on nous donnera des instructions à l’école Gerbaud à l’extrémité de Reims. A 6 h, nous quittons sans instructions."

 

"Dimanche 30

Toute la journée se passe sans instructions."

 

"Lundi 31

Même résultat."

 

"Mardi 1er septembre

On convoque 5 classes de facteurs. Puis vers 5 h ½, nous avons nos ordres de service."

 

"Mercredi 2

Avec Watrin et Guillaudelle nous sommes à la gare de Reims à 7 h ½. Nous montons dans un train pour Châlons. Ce train ne part qu’à midi au moment où le génie fait sauter les voies. On arrête sans cesse. Nous arrivons à Châlons le jeudi 3 à 9 h du matin. Nous allons à la Direction ; tout est fermé. Ils ont évacué à 4 h matin ! A midi nous prenons un train pour Troyes. Panique à Châlons. Tout le monde fuit. Après bien des arrêts, nous débarquons à Troyes-Croncels à 3 h matin. Pas de chambres. Nous allons au commissariat jusque 6 heures. A 8 heures à la Direction. Là on nous donne des ordres de service. J’en ai un pour Rennes en passant par Rouen où je peux aller chercher Marguerite."

 

"Vendredi 4 septembre

Nous revoyons là Sourde, Faucheron, Pouillart, et aussi les collègues de Nancy et de Reims. A 6 h du soir, nous montons dans un train qui, par Sens, Montargis, nous amène à Orléans à midi le samedi 5. De là, avec M. Bourcier, nous partons à 3 h pour Le Mans et Rouen. Arrivés à Chartres à 7 ½ soir. Pas de train pour Rouen. Nous cherchons une chambre en vain dans tous les hôtels. Finalement, un coiffeur nous offre un lit."

 

« Les Prussiens approchant », nouvel exode de la famille

Elle quitte la Normandie et retrouve Monsieur PETIT à Rouen.

« Dimanche 6 septembre

En arrivant à 6 h du matin dans la cour de la gare, j’ai la stupéfaction et le plaisir d’y voir Marguerite et Suzanne. Arrivées dans la nuit avec Marie (ils ont quitté Arques, les prussiens approchant). Elles ont dû coucher dans la gare. Leur billet étant pour Orléans, je repars avec elles vers 8 heures. Après arrêts de 11 h ½ à 2 h ½ avant d’entrer en gare, nous arrivons à Orléans. Les enfants pleurent, ils n’ont pas mangé. Nous ne trouvons qu’une petite auberge où nous passons la nuit sans dormir. »

Divers trains les amèneront dans l’Isère, dans de la famille, le 9 septembre 1914 en passant par : Orléans – Vierzon – Bourges – Saincaize (près de Nevers) – St Germain des Fossés (près de Vichy) – Roanne – St Etienne – Lyon – Grenoble – Voiron – St Laurent du Pont (Isère).

"Lundi 7. A 8 heures

Départ pour Saint Laurent. Aux Aubrais, on change déjà, nous sommes serrés dans des wagons à bestiaux. Les parisiens se sauvent. On arrive à Vierzon vers 1 heure. On n’a que le temps de changer pour monter dans un fourgon d’un train vers Bourges. Là nous prenons place en 2è jusque Saincaize (au sud de Nevers). Arrivée 5 heures. Je me ravitaille au buffet mais il y a peu de chose. Le train qui doit partir à 5 h 50 n’arrive qu’à 8 heures. Nous sommes à Saint Germain des Fossés (au Nord de Vichy) à 1 h matin où on nous dit que le train vers Lyon est parti. "

 

« Mardi 8. Vers 2 h ½

On forme un train pour Roanne où nous sommes à 5 h matin. Change pour St Etienne. De nouveau change de train. Un express nous amène à Lyon à midi. Le train pour Grenoble n’est qu’à 5 heures. Nous partons enfin. A Voiron (9 h soir) plus de train pour St Laurent (Isère). On y couche. Tout le monde est fatigué et bien désolé."

 

"Mercredi 9 septembre. A 8h matin

Une voiture nous conduit à St Laurent du Pont. Nous arrivons chez les cousins Satre à 10 h ½. Ils nous accueillent. A 1 heure, je quitte bien triste Marguerite et Suzanne. Quel crève-cœur. On me ramène à Voiron où à 3 h ½ je prends le train pour Lyon. A 10 heures, un express me conduit à St Germain des Fossés où on m’a fait descendre à tort, l’express arrêtant à Saincaize. Un omnibus suit, mais à Moulins, on descend. Il est 2 heures. Je me couche dans un wagon jusque 6 heures puis je vais en ville : je vois Armande Le ?, et Julien de Sedan."

 

Un artilleur dans un uniforme de marin.

Il faudra deux jours à Monsieur PETIT pour atteindre Rennes. Lors de sa mobilisation, il a été affecté dans la Marine, et s’est retrouvé dans la région de Saint-Malo. Ce n’était pas du tout son corps d’origine. Suzanne se souvient qu’il parlait souvent de son uniforme qui ne lui allait pas : «il était mal taillé et avait des manches trop courtes ! »

 Dans ce premier carnet, les jours sont méthodiquement soulignés. C’est sûrement le plus soigné des trois, c’est aussi celui qui retrace une période où il était loin du front. Il ne mesurait pas non plus quelle allait être la durée de cette guerre. Il souffrait du manque d’information concernant sa famille, et son devenir de soldat.

"Jeudi 10 à 10 h

Je pars pour Saincaize. Arrivée à midi. Départ vers 1 h ½. Par Bourges, je vais vers Tours (1h matin). Là on me dit que je ne puis passer par Le Mans, la ligne étant occupée. Je continue sur Angers."

 

"Vendredi 11

J’y arrive à 8 h matin et en repars vers 11 heures pour Le Mans où je suis à 3 heures. Je repars à 9 h du soir pour Rennes où j’arrive le samedi 12 à 4 h du matin. Je trouve un lit dans un hôtel voisin de la gare et à 9 h je vais à la Direction où je trouve Pouillart (un de ses collègues). On m’affecte au contrôlement."

 

"Dimanche 13

A 11 h, je vais à St Malo pour avoir des nouvelles chez M. Leblanc. Mais ils ne savent rien. Je repars à 5 h 15 pour Rennes."

 

"La vie se passe monotone. Pas de nouvelles de chez nous. Heureusement encore que ma femme et ma fille sont en sûreté. J’attends tous les jours avec impatience les nouvelles que Marguerite m’envoie jour par jour."

 

 

"Dimanche 20

Parti le samedi à 5 h à St Malo, j’ai passé la journée chez M. Leblanc. Ils ne savent rien. Vu la grande marée. Retour le lundi 21 à 8 h matin."

 

"Dimanche 27

Watrin (un de ses collègues) vient passer la journée avec moi."

 

"Dimanche 4 octobre

Parti coucher le samedi à Combourg où est Watrin, nous allons le dimanche au Mont St Michel. C’est très joli et surtout très imposant. Comme j’ai souhaité que les miens soient avec moi. L’aller se fait en auto de Pontorson au Mont. Le retour, à 3 heures, à pied. Bien que cette promenade soit délicieuse, je n’y éprouve aucun charme, ayant toujours la pensée de Marguerite et Suzanne qui sont loin et surtout des miens dont je n’ai aucune nouvelle.

Mercredi 29 septembre (ndlr : erreur probable de date), j’ai écrit au Petit Parisien pour faire mettre un article. J’avais écrit auparavant à H. Lainé à Blois. Elle ne sait rien. Je reçois des lettres de personnes me demandant des nouvelles des Camus ; j’ai écrit dans la Hte Marne chez la sœur de Mme Briard. Ils n’y sont pas. Que cela est triste, quelles angoisses m’étreignent chaque jour."

 

 

« J’espère toujours être rappelé dans les Ardennes »

« Les semaines se passent monotones.. Mais on n’avance pas. Pourquoi les a-t-on laissé entrer, et surtout pourquoi a-t-on laissé les populations à la merci des barbares plutôt que de les avoir prévenues qu’à Charleroi, on battait en retraite. De grands malheurs auraient pu être évités. Mais on n’a cure de la population civile. Et pourtant… qui paie ? ».

 

"Dimanche 11 octobre

Pouillart m’a télégraphié de St Malo qu’il y a excursion sur la Rance. Je pars le samedi soir coucher à St Malo. Je prends Watrin en passant à Combourg. Le lendemain départ sur le bateau à 7 h 45. Nous prenons Pouillart et la famille à Dinard. Jolie promenade, mais contrariée au début par un fort brouillard. Nous rentrons à midi. Puis Pouillart nous fait visiter St Enogat, Dinard et les Eplorges. A 6 h nous repartons à St Malo. Chez H.Leblanc, pas de nouvelles si ce n’est que Sedan renaît évacué par les prussiens. Nous repartons à 11h ¼ soir. J’arrive à Rennes à 2h ½ matin par un fort brouillard, et, la porte de l’hôtel close, je suis obligé de passer ma nuit dehors.

Cette semaine je m’ennuie de plus en plus. Reçu lettres de M. Loupot, A.Pinteaux, Mme Tirole. Envoyé à mon frère un beau chandail. Je voudrais lui envoyer plus, mais on est limité (pas de postaux).

 

"Dimanche 18 octobre

Malade, je suis resté ici et me suis ennuyé toute la journée."

 

"Mardi 20

Suis allé voir Mmes Camus et Mottet qui sont à Rennes. On a bien causé du pays."

 

 

Fin du premier carnet.

Carnet de guerre d'un Ardennais

 

Georges Petit était maréchal des logis pendant la première guerre mondiale. Il a tenu son carnet de guerre. En voici l'intégralité retranscrite et commentée par Joëlle PAUTEVIN.

Merci de la prévenir pour tout usage que vous souhaiteriez en faire (formulaire page "Contact").

 

Un montage audiovisuel commémoratif

100 ans après le début de la première guerre mondiale, un montage audiovisuel a été réalisé par Juliette CHERIKI-NORT et Joëlle PAUTEVIN mettant en scène des objets métalliques et rouillés comme autant de traces et vestiges de la première guerre mondiale.

Pour le visionner.

Une partie commentée de ces carnets est publiée dans "Destins liés, occupés et occupants des Ardennes (1914-1918)" aux Éditions Terres Ardennaises