1916. 1er janvier 1916, tout est résumé : « Triste. Que de souvenirs ! ».

1916

1er janvier 1916

Triste. Que de souvenirs !

3 janvier 1916

Marmitage de la batterie qui reçoit 112 obus. Un 250 allongé tombe en plein sur la 1ère pièce et la coupe en 3 parties. Heureusement, personne autour, sans quoi…

J’ai l’occasion d’aller à la Sous-Intendance à Savigny (A l’ouest de Reims, sur l’Ardres). Jolie promenade par la montagne de Reims. Pays pittoresque, vignes.

Vers le 18

Le bruit court qu’on va partir. Frédéric vient me voir. Il m’apprend que son père est prisonnier en Allemagne.

Jeudi 20 janvier

Au soir, la batterie part à Courthiézy.

Vendredi 21

Je pars avec l’échelon à 8 h de matin. Pour Epernay, on arrive à midi. Chacun reprend son logement.

On parle d’y rester un bon moment. Pourvu que ce soit vrai, car il pleut souvent et on est mieux ici que dans la boue blanche de Champagne.

Jeudi 17 février

Bruits de départ.

« On parle d’attaque vers Verdun ».

Chaque jour nous allons voir les progrès de la crue de la Marne, à la suite de pluie et de neige. L’eau arrive au P. à niveau de la ligne Paris-Châlons. En même temps, de nombreux trains militaires passent nuit et jour. On parle d’attaque vers Verdun.

Jeudi 24 février

A 4 h du soir arrive l’ordre de départ pour le lendemain matin : direction de Verdun.

Vendredi matin A 8 h nous partons : quel temps affreux ; la neige tombe. Il a gelé. Aussi les camions patinent. On pousse derrière. Que de mal. Nous passons à Epernay. La neige tombe toujours ; puis vers Châlons il y en a moins. Nous faisons étape à Courtisols (près de Lépine) à 8 km de Châlons. La colonne se forme sur la route. Je couche dans la voiture. Il fait froid. 

Samedi 26 février

Départ à 8 heures. Par Givry en Argonne, nous allons à Nubécourt (vallée de l’Aire – au sud de Clermont en Argonne). Que de troupes arrivent ! Surtout de l’artillerie. Là en arrivant, je vois une grosse maison démolie par l’explosion d’un camion chargé de munitions. Tous les environs sont bouleversés. Nous formons colonne route de Beauzée.

Quelle boue et quel froid. Le canon gronde de toutes parts. Le soir des éclairs partout. La bataille fait rage sur Verdun. On n’a pas de journaux. Toutes sortes de nouvelles circulent : bonnes disent les uns, mauvaises disent les autres. Que croire ! Des convois d’émigrés passent venant de Verdun, Belleville, Thierville, Chatillon, Ancemont, Dugny etc… Quel triste spectacle ! Femmes, enfants, vieillards. Les uns à pied, les autres tassés sur des voitures. Que de serrements de cœur je ressens ! Cela me rappelle notre fuite des Ardennes ! 

Lundi 28 février

Au soir nous partons à 8 heures. Par Beauzée, Souilly, nous arrivons à 4 h du matin route de Nixéville à Lempire (au sud ouest de Verdun) . On forme le parc en pleins champs. La batterie est allée se mettre en position non loin de Thierville et du fort de Chana.

Y allant le soir, je vois dans Glorieux des dégâts. L’arsenal est à demi détruit. En face, un énorme trou de marmite de 380 sur le bord de la voie de Paris. La batterie est bien située. Au pied d’une côte, dans un ravin. On tire beaucoup car les boches attaquent vers Douaumont. Ils tiennent le fort un moment ; on les déloge. Attaques vers Vaux. Les boches ont d’énormes pertes. Brusquement ils changent de tactique, et attaquent vers le bois de Cumières, le bois des Corbeaux (ouest de la Meuse). Quelle débauche d’artillerie. C’est phénoménal. On sent qu’ils cherchent le point faible. Verdun reçoit des obus. Ils battent un peu partout. Passant un soir vers le pont des Sautelles, j’y vois brûler un camion qui a été bombardé. Nous avons, à cette position de batterie, 2 blessés dont 1 adjudant.

15 mars Au soir, nous allons occuper une autre position sur la rive droite de la Meuse, dans la côte St Michel. J’y vais par Thierville (bombardé souvent). Belleville où de nombreuses maisons sont atteintes. Le pont de la Galavaude a été coupé par les obus.

Les autres soirs, nous y allons par Verdun. Que de dégâts : rue des Capucins, rue Chevent ; dans le faubourg pavé où l’église est en miettes ! Dans le pré l’évêque, d’énormes trous de marmites, vers le chauffour où ça tombe souvent.

Dimanche 19 mars

Je vais voir mon beau-frère à Verdun. Je vois, vers la caserne Anthanaud ( ?) beaucoup de dégâts ; sur la digue ; l’hôtel des 3 maures (marnes ?) abattu ; place Chevent ; le clocher de Ste Catherine décapité. Enfin, je vois que les obus ont tombé un peu partout, causant plus ou moins de dégâts, suivant les endroits.

Verdun toujours : « la bataille continue et fait rage ».

Au plus fort des combats, Monsieur Petit ne tient plus son journal. Entre le 19 mars et le 22 mai 1916, grand silence.

La bataille continue, s’étendant en Woëvre, et en Argonne. Le canon tonne presque sans arrêt. Entre temps j’ai fait installer l’échelon dans le bois de Nixéville, route de Lempire. On n’y est pas trop mal, si ce n’est quelques journées de pluie et de vent. Mais ce qui est le plus désolant c’est de ne pas recevoir de courrier. Je reste 3 semaines sans nouvelles de Marguerite. Aussi il y a des jours où je suis découragé. Puis les correspondances arrivent, mais peu régulièrement.

La bataille continue et fait rage. Duels violents d’artillerie de part et d’autres. Je vais les après-midi à la batterie. C’est très dangereux non seulement la traversée de Verdun, où la rue Chevent, la rue St Pierre (maison Auclin) ne sont que ruines, mais le plus dur est de la sortie du faubourg pavé à la villa St Michel. Les obus tombent partout ; tous les calibres ; depuis le 77 (plus rare) jusqu’au 210 en passant par le 1O5 et le 190. Ce ne sont que trous d’obus partout. Le chemin, les champs sont défoncés. Les ravitaillements sont durs. Plus d’une fois j’ai dû attendre à la batterie, ou même dans la côte le long d’un talus, une accalmie. Le temps passe et on est toujours en position.

« La position est parfois intenable, mais il faut tenir. »

22 mai

On prend Douaumont, mais on le reperd. Nous avons malheureusement des pertes. Des blessés ; et le 23, Bisch, maréchal des logis tué.

La position est parfois intenable mais il faut tenir .Les hommes n’en peuvent plus. Un peu de repos serait bien mérité mais il ne vient pas vite. Avec cela le temps passe et on en est toujours au même point. La canonnade fait rage du matin au soir, mais pas de résultats appréciables. C’est bien dur.

31 mai Nous sommes toujours ici.

Quel ennui ! Les lettres n’arrivent pas régulièrement. Marguerite reçoit à peine ½ de ce que je lui envoie. Que de crève-cœur je ressens. Je ne vois pas de fin à cette guerre ; que deviennent nos pauvres parents restés dans les Ardennes ?

1er juin

Journée épouvantable. Pour monter au rapport, j’éprouve bien des difficultés. C’est un marmitage sans arrêt. Que de fois cela m’est arrivé ! car presque tous les jours c’était la même chose. Le soir, nous avons un accident terrible. Vers 8 h ½ alors qu’on déchargeait les munitions, arrive un obus boche qui, mettant le feu aux camions, occasionne du fait de l’essence un immense incendie. Un de nos dépôts de munitions saute avec un bruit infernal. 400 obus environ. 6 hommes de la section munitions sont tués, et 2 de chez nous disparus. Les malheureux ont dû être déchiquetés et en bouillie. La 4ème batterie éprouve en général plus de pertes, surtout comme morts.

7 juin

Au soir, la batterie descend. On laisse les pièces. Nous les échangeons avec le 81ème.

On reste dans le bois jusqu’au samedi 10 juin, jour où vers 8 h matin nous quittons la région pour venir à Herpont (Marne) à 18 km de Ste Menehould. Quel soupir de soulagement ! C’est sans regret que tous nous avons quitté ce vilain coin. Bien qu’Herpont soit un triste village de Champagne, on s’y sent plus à l’aise ; et on se repose l’esprit. 

Du 4 au 11 juillet

Je vais en permission à Neuilly. Je rentre à Herpont où je retrouve tout le monde.

Carnet de guerre d'un Ardennais

 

Georges Petit était maréchal des logis pendant la première guerre mondiale. Il a tenu son carnet de guerre. En voici l'intégralité retranscrite et commentée par Joëlle PAUTEVIN.

Merci de la prévenir pour tout usage que vous souhaiteriez en faire (formulaire page "Contact").

 

Un montage audiovisuel commémoratif

100 ans après le début de la première guerre mondiale, un montage audiovisuel a été réalisé par Juliette CHERIKI-NORT et Joëlle PAUTEVIN mettant en scène des objets métalliques et rouillés comme autant de traces et vestiges de la première guerre mondiale.

Pour le visionner.

Une partie commentée de ces carnets est publiée dans "Destins liés, occupés et occupants des Ardennes (1914-1918)" aux Éditions Terres Ardennaises