20 juillet

Je rentre. Je trouve les batteries au repos ; les pièces sont descendues. Nous sommes remplacés par une batterie territoriale. On s’attend à partir chaque jour former une réserve d’artillerie lourde.

31 juillet

Par application de la loi Dalbiey, il ne m’est possible de passer chef à la colonne légère, un chef rengagé étant arrivé de Versailles. Je repasse fourrier à la 33ème Batterie. Départ de Livry à 6 h du matin pour Tours sur Marne (à l’est d’Epernay) où nous venons cantonner. Jolie localité : Marne, canal. Bureau bien installé. Je couche dans un lit chez M Deschamps, comptable ici dans une maison de champagne ; homme charmant, ardennais d’origine. Je trouve ici M. Franquin, qui accompagne la 42ème Don. Il y fait le ravitaillement. Nous dînons ensemble. 

Toujours les combats dans la Marne.

13 août

Au soir les batteries vont préparer des emplacements, face à Aubérive (cote 137). J’y vais au ravitaillement. Vilain coin. Le bois derrière lequel sera la 33ème est peu touffu ; les sapins y sont très courts. C’est à 3 kms environ, au n.e. de Mourmelon le Grand.

16 août

A 7 h matin, nous quittons avec regret Tours s. Marne et nous rentrons à Livry. Pas pour longtemps parait-il. Les batteries prennent position. On forme 3 batteries de 4 pièces.

Une semaine sur deux, je vais à la batterie mixte faire le ravitaillement. Certains soirs, ça canonne dur. Je vois les fusées s’élever vers Aubérive, Souain, Perthes, etc… Les marmites tombent parfois dans les environs et même près des pièces. Nous quittons Livry pour venir bivouaquer dans un petit bois. On prépare une attaque. Convois nuit et jour ; (traverses, rondins, etc…) ; arrivée d’artillerie surtout du siège.

Frédéric m’écrit qu’il est dans les environs. La canonnade prend par moments, parfois très violente. Mais que c’est long et qu’on s’ennuie !

Dimanche 19 septembre

Frédéric vient passer la journée près de moi. Nous causons du pays, et chacun a hâte de revoir sa famille. Le bruit court que l’offensive ne tardera pas.

(Lundi)mardi 21 septembre

7 h en ravitaillant la batterie mixte (au dessus de la route de l’Espérance) j’entends bien l’ordre du généralissime, qui déclare que l’heure est venue de prendre une offensive générale, particulièrement violente sur plusieurs secteurs déterminés.

Mercredi 22 septembre

A 6 h du matin commencement de l’offensive par une attaque d’artillerie.

Le jeudi, la canonnade est plus violente. Le vendredi, encore plus. Sur les côtes de Moronvilliers, s’élèvent des nuages de fumée, de poussière, etc.

Les avions tiennent l’air sans arrêt. Nous avons 8 « saucisses » dans notre secteur pour observer. On parle d’être bientôt à Vouziers. Le soir, en allant au ravitaillement, je vois l’incendie d’Aubérive par nos obus.

Samedi 25 septembre

A 9 heures, attaque d’infanterie. Le soir, nous avons enlevé deux tranchées en avant. Aubérive a été pris par nous, puis repris par les boches qui ont converti ce village en une véritable forteresse ; et l’ont même dit-on inondé en déviant la Suippe.

Dimanche 26

Reprise de la canonnade. Le soir, on apprend avec plaisir qu’à l’est, on a beaucoup avancé en Champagne : 1 à 4 km de profondeur sur un front de 25 km. Sommepy est entre nos mains. 12 000 prisonniers ; nous prenons des bouches à feu.

Lundi 27

Le communiqué officiel apprend que dans le nord, les anglais marchent bien. Au total sur le front : 20 000 prisonniers. En avant de nous, vers Moronvilliers, c’est plus dur et l’avance sera plus lente. Il est désagréable que le mauvais temps nous contrarie. Nous nous attendons d’un moment à l’autre à partir d’ici.

Lieux de bataille et carnages : « spectacle inoubliable ».

Les deux derniers mots du titre sont les seuls soulignés de tous les carnets, en dehors des dates.

Samedi 2 octobre

A 7 h du soir, départ. Nous allons mettre en batterie au nord-ouest de Souain. Nuit lugubre .Nous passons par Mourmelon le Grand, St Hilaire (où les boches ont lancé un peu avant quelques obus suffocants). Il reste peu de chose du village. Jonchery, à demi-détruit ; Suippes, Souain totalement en ruines. Les obus éclatent de tous côtés. Nous nous engageons dans des espèces de chemin, au travers des anciennes lignes boches. La lune brille légèrement. Ce voyage est sinistre. On passe près d’énormes trous d’obus. Enfin on arrive à la position de batterie. Toujours les obus sifflent de tous côtés. Tout à coup des lueurs brillantes, sans doute boches. Puis le petit jour arrive. Alors c’est un spectacle inoubliable. Des cadavres sont encore là. Le sol est bouleversé : trous d’obus et tranchées. Celles-ci sont très profondes et bien aménagées. Je vois des armes, des munitions, tout cela épars. Nous retraversons Souain. Le clocher est en bas et les cloches sont dans la rue. L’emplacement de l’échelon est à 1 km de Suippes, route de Souain.

Dimanche 3

Au soir les boches bombardent la route avec du 133 autrichien ; le lendemain dans la matinée, même répétition. L’après-midi, nous déménageons pour nous installer en dessous de la route de Perthes. De temps à autre les obus sifflent, bombardent Suippes.

Mardi

On apprend la prise de Tahure.

Samedi 9

Vers 10 h matin, un avion boche nous descend une « saucisse » avec une mitrailleuse. On n’avance plus, ou peu. Il est vrai que c’est difficile : on se heurte à des retranchements formidables, bétonnés, fils de fer, coupoles blindées.

Tous les jours ce ne sont qu’attaques violentes ; canonnade bruyante.

Jeudi 14 octobre

Vers 2 ½ h soir, m’arrive l’ordre d’aller faire un cantonnement à La Cheppe, qui se trouve un peu en arrière de la gare de Cuperly. Les tracteurs et camions partent à ce moment à la batterie pour aller rechercher les hommes et les pièces. Le temps est clair. La saucisse boche nous voit. Comme par hasard, la pièce de 133 balaie la route. Je crains qu’une de nos voitures soit atteinte. J’ai su après que les batteries étant marmitées à outrance, ordre fut donné aux tracteurs d’attendre à Souain la tombée de la nuit. Heureusement, on s’en est bien tiré. Dans Souain, un camion d’une section automobile reçoit un obus. Le conducteur est décapité. Le commandant envoie l’ordre de laisser les tracteurs à la sortie de Souain. Il est impossible de bouger les batteries qui sont marmitées à outrance. On ne sort de batterie que le soir, et la colonne n’arrive à La Cheppe que vers 1 h du matin. Pendant ce temps j’ai fait le cantonnement à la lueur d’une lampe électrique. C’est assez difficile. Peu de chambres pour officiers. La paille est rare dans les granges. Je couche dans le camion, sortie de La Cheppe vers Cuperly ; les voitures sont le long de la ligne stratégique Cuperly à Ste Menehould. Il y passe beaucoup de trains (ravitaillement, trains sanitaires, etc…). Souvent y circulent 2 locomotives boches prises en Alsace.

Samedi 16

Au matin, départ pour Mairy sur Marne (au sud de Châlons). Triste souvenir de ce pays qui loge déjà des chasseurs à cheval. Nous arrivons en intrus. Discussions nombreuses. Logement très difficile. On bivouaque, faute de place qu’on ne veut pas nous donner. Tout le monde est énervé. Concentration d’artillerie lourde de tout calibre. Pourquoi ? De vagues bruits circulent. Salonique ? Un contrôleur vérifie les pièces et les trouve bien malgré les dires des officiers. Elles sont cependant dans un triste état.

Toujours très présent dans ce carnet aussi, le manque d’informations quant à la destination de son régiment. Mais parfois aussi le plaisir des retrouvailles familiales, et la cruauté de la séparation.

Les conditions de vie des soldats sont difficiles.

Lundi 18 octobre

Nous quittons ce mauvais pays pour aller à Sarry, à quelques kilomètres. Là, nous sommes mieux. Toujours la question : que va-t-on faire ?

Mardi 19

Au soir, on nous dit de nous tenir prêts à partir le lendemain matin pour Vincennes. Joie sans limite de tous. Mais qu’y va-t-on faire ? Est-ce pour changer de matériel et partir en Orient ?

Mercredi 20

Je pars de bonne heure faire le cantonnement à Viels-Maisons (à l’est de la Ferté-Jouarre). Nous suivons la même route qu’en venant au front. Je repasse non sans émotion à Etoges, lieu de naissance de mon père. Gentil pays. On repasse à Champaubert, Montmirail. D’assez nombreuses tombes datant de la bataille de la Marne. A Viels-Maisons réception chaleureuse. Tous les hommes couchent dans des lits. Par une carte, je préviens Marguerite que nous rentrons à Vincennes.

Jeudi 21 octobre

On part à 7 heures. La route n’est pas longue. On passe par Coulommiers. A 10 heures nous sommes à Joinville. Là nous attendons des ordres. Enfin à 2 heures, on nous dirige sur Charenton. Parc sur la place des écoles. Cantonnement tout près. Je fais le logement des officiers. Le soir, dîner à Paris avec Guillemeau. On rentre pour coucher à 8 h ½.

A ce moment, je m’entends appeler. Ce sont 2 conducteurs de la colonne légère, qui, ayant dîné à Vincennes, ont trouvé ma femme et Suzanne à l’hôtel de l’Europe. Je ne puis les croire. Aussitôt, j’y cours, à travers le bois de Vincennes. Avec quelle joie je les retrouve ! Combien va-t-on rester ? On se le demande. Le lendemain nous nous établissons dans un hôtel à Charenton. Au bout de quelques jours, on apprend qu’on va changer de matériel (tracteurs, canons, camions). Le séjour se prolongera sans doute. Je cherche un appartement, et j’en découvre un joli, au 4ème étage d’un immeuble neuf, rue de la République. Nous revivons la vie de famille. Malheureusement, je n’ai que peu de temps à passer chez moi. Il y a du travail sans arrêt. Les après-midi de dimanche, nous allons à Paris. On revoit les amis : Mme Boutte ; Bouttet ; nous allons à Puteaux où je revois avec plaisir mon camarade Millet, évadé d’Allemagne. Suzanne est bien contente de se promener. Mais les jours passent trop vite, hélas.

1er novembre

Je suis nommé chef à la batterie. Nous formons une batterie de dédoublement avec 2 pièces de chez nous. Remaniement complet. On change de matériel.

16 novembre

Nous formons et passons 2ème groupe du 85ème artillerie ? 3ème batterie. On parle de départ ? Déjà ! Que c’est donc court.

Mercredi 17

A midi ½ je reconduis Marguerite et Suzanne à la gare de l’Est. On se quitte le cœur gros. Cruelle séparation.

Jeudi 18

A 9 h du matin nous partons pour aller vers Dormans. Nous faisons étape à la Ferté sous Jouarre. Jolie ville. Pont sauté et réparé en bois. Le soir, on apprend qu’au lieu d’aller à Dormans, nous irons à Courthiézy, petit village à 4 kms en avant.

Mercredi 19

Départ. Nous passons environ à 25 kms de Neuilly. Que de pensées. On traverse Château-Thierry. A midi, on est à Courthiézy. Je suis logé au moulin chez Mme Armand. Triste village !

Les environs sont cependant pittoresques. La vallée de la Marne est jolie ; le pays est accidenté, et couvert de pommiers. La vie s’y écoule, monotone. Paperasses en quantité. Etats à fournir sans arrêt ! Je me prépare à aller en permission.

Du samedi 11 décembre au samedi 18 décembre Je dois partir, mais le vendredi soir vers 10 h on vient me prévenir que l’on doit se tenir prêt à partir au front. Les permissions sont suspendues. Je n’en dors pas ! Le samedi matin, je vais voir le Commandant, qui en raison de la maladie de Marguerite m’autorise à partir. On me conduit à Château en auto. Au moment où je vais prendre le train de 10 h pour Neuilly, je trouve Marguerite et Suzanne en face de la gare. Je la trouve changée et j’en ai bien mal au cœur. Nous déjeunons à Château et y couchons (elle venait me rejoindre à Courthiézy).

Le lendemain, dimanche 12, nous partons à 4 h pour Neuilly où on arrive le soir à 6 h. J’y passe mes 6 jours de permission. Il fait assez beau temps, nous en profitons pour faire des promenades. Guillemeau m’avertit qu’ils sont allés échouer à Mourmelon Le Grand mais qu’ils vont sans doute en partir.

Samedi 18

En effet, au moment de partir, il m’avise qu’ils sont à Mont de Billy (4kms en dessous de Livry sur la route de Reims).Je pars bien triste à 9 heures. Les trains ont du retard. J’arrive à Châlons à minuit. Je suis fatigué. Avec peine, je trouve une chambre au restaurant des Ardennes, place de la République.

Dimanche matin A 7 h je prends le train pour Mourmelon. A 10 h je suis au Mont de Billy où est l’échelon. Petit bureau bien installé. La batterie cantonne à Courmelois.

Elle travaille tous les jours à la construction des emplacements. Mise en batterie entre Courmelois et Beaumont sur Vesle au bout du canal. Secteur assez calme. Malgré cela, de temps en temps, les villages de Courmelois, Beaumont (surtout), Villers-Marmery, Verzy, sont bombardés. Je vais chaque soir à la batterie.

Carnet de guerre d'un Ardennais

 

Georges Petit était maréchal des logis pendant la première guerre mondiale. Il a tenu son carnet de guerre. En voici l'intégralité retranscrite et commentée par Joëlle PAUTEVIN.

Merci de la prévenir pour tout usage que vous souhaiteriez en faire (formulaire page "Contact").

 

Un montage audiovisuel commémoratif

100 ans après le début de la première guerre mondiale, un montage audiovisuel a été réalisé par Juliette CHERIKI-NORT et Joëlle PAUTEVIN mettant en scène des objets métalliques et rouillés comme autant de traces et vestiges de la première guerre mondiale.

Pour le visionner.

Une partie commentée de ces carnets est publiée dans "Destins liés, occupés et occupants des Ardennes (1914-1918)" aux Éditions Terres Ardennaises